Impartialité ?
Les masques sont tombés
Après neuf ans de vicissitudes, on croyait pouvoir compter sur une certaine considération, voire bienveillance de la part des Juges – notamment ceux de Nantes, les derniers désignés – pour rattraper le temps perdu et nous dédommager en quelque sorte des épreuves endurées. Jusqu’alors, le Parquet – et derrière lui le Pouvoir – nous paraissait seuls responsables de ces dérives.
Les juges avaient bien voulu recevoir Thierry Lemétayer, le fils du mécanicien disparu, et Me Tricaud, son avocat, lors de leur demande de mise en examen du Cdt du sous-marin le Turbulent. Ils avaient spontanément proposé de visionner la cassette de l’épave, ce qui était apparu comme un témoignage de bonne volonté. Par ailleurs, le juge Jacky Coulon avait en 2011 affirmé son indignation à l’égard du Président Sarkozy qui, au mépris de la séparation des pouvoirs, avait dénoncé leur prétendu «laxisme» dans l’affaire Laetitia* (jeune serveuse assassinée par un récidiviste près de Pornic)
Ces gages d’indépendance nous avaient redonné espoir.
Las, le doute est levé, les juges ont montré sans ambiguïté qu’ils étaient pressés d’en finir et de se débarrasser de cette patate chaude qu’est l’affaire du Bugaled Breizh.
Pour première preuve, ce communiqué laconique fourni aux médias en janvier 2013, par la procureure Brigitte Lamy, donnant les résultats bruts de ces deux expertises tant attendues, incertains quant à la présence de titane et négatifs en ce qui concerne la position du Turbulent. La Presse quasi unanime en a conclu : “la piste du sous-marin s’éloigne” ou même “est écartée”.
Or ces deux expertises ne sont que la partie émergée d’un iceberg qui comporte un faisceau nourri de preuves et présomptions Un chapitre occulté du rapport revient d’ailleurs conforter la thèse du sous-marin en démontrant qu’un tel engin, même nucléaire (SNA) a la capacité de naviguer dans des eaux d’une profondeur inférieure à 80 m, ce qu’avaient nié l’Etat-Major et récemment encore le Cdt Coles ! Rappelons que la mission dûment attestée du Turbulent était de «s’infiltrer» parmi d’autres bateaux (sneak up) et non de s’en «rapprocher» comme l’écrit l’expert. Ce n’est pas une simple erreur de traduction. Il est également étrange qu’on ait passé sous silence la conclusion du Contre-amiral Salles qui déclare avoir les preuves qu’il s’agit d’un sous-marin américain et plus encore que les Juges aient négligé de l’interroger pour en savoir plus.
On est enfin scandalisés d’apprendre que ces informations concernant le Turbulent et l’implication d’un sous-marin américain étaient disponibles depuis le 24 septembre 2012 et qu’elles sont sorties opportunément à la veille de la présentation au Sénat !
Histoire sans doute de casser l’ambiance
On aurait pu s’attendre à ce que les juges corrigent le communiqué de la Procureure. Il n’en a rien été. Une telle désinformation est-elle admissible en démocratie ? Mépris, humiliations réitérées sont décidément le lot des familles des victimes.
Notre combat est solitaire.
Nous avons néanmoins le réconfort de vous tous qui nous apportez votre soutien lors des projections-débats. Vous nous dites combien vous êtes choqués par l’injustice flagrante dont cette affaire est l’archétype et le mépris avec lequel les Bretons sont traités. Nous sommes également sensibles aux efforts des quelques journalistes intègres et courageux qui ont suivi dès le début le déroulement du dossier et en ont mesuré l’enjeu, et continuent à s’y intéresser
Une nouvelle affaire Dreyfus !
Avec cette différence que le Capitaine Dreyfus est revenu du bagne. Nos marins eux, ont été envoyés directement au fond et ne reviendront pas.
*Déclaration du Juge Jacky COULON,
justifiant le mouvement de grève en réaction à l’accusation du Président Sarkozy, dans l’affaire «Laetitia»
“Le mouvement est né spontanément. On s’est réunis entre midi et deux, explique Jacky Coulon, juge d’instruction, membre de l’Union syndicale des magistrats (USM, modéré et majoritaire). On ressent une injustice profonde. Le manque de moyens, la Chancellerie le sait très bien : ici, à Nantes, on devrait avoir quatre juges d’application des peines, mais un poste n’est pas pourvu. On fait de notre mieux, et on se voit accusés d’un crime. Oui, un crime ! On nous dit que nous, magistrats, avons participé à la commission d’un crime.”
Un communiqué invoque l’«incurie des pouvoirs publics» et dénonce «l’amalgame fait par les plus hautes autorités de l’Etat entre la commission d’un crime et les prétendues carences décisionnelles des services de la justice, de la police et de l’administration pénitentiaire». Il demande «la reconnaissance publique que les magistrats et fonctionnaires ne sont en rien responsables du crime commis à Pornic».
Libération 4 Févr. 2012