Droit de réponse

Le site Infoguerre nous accuse, sous le titre « Les dérives du traitement de l'émotion populaire par la loi »,

de profiter de l'émotion soulevée par le drame pour infléchir nos institutions.

 

 

                Cette allégation nous blesse d'autant plus que nous avons justement créé notre association SOS Bugaled Breizh sur des bases objectives, en faisant taire notre douleur et nos sentiments, dans le but d'aboutir sans agressivité à la vérité et à la reconnaissance par l'État de sa responsabilité.

 

               De toute façon, nous ne voyons pas en quoi il serait répréhensible de montrer à l'occasion d'un cas réel les graves dysfonctionnements dont nous sommes victimes - et qui peuvent sous d'autres formes, toucher d'autres citoyens.

               Non, nous ne sommes pas des adeptes du slogan "Un drame, une loi", formule utilisée ad nauseam par nos gouvernants qui trouvent ainsi une recette pour calmer les esprits à bon compte. N'est-il pas ainsi bien pratique de créer de nouveaux délits sur mesure (le voyage en Syrie pour les jihadistes) ou d'agraver certaines peines.

              

              La rédactrice de l'article, Mme Isabelle Lhermite, voit dans ces phénomènes une dérive récente, remontant à quelque vingt ans. C'est oublier l'affaire Calas courageusement dénoncée par Voltaire en 1761 qui a abouti à la réhabilitation du condamné, l'abolition de la question (torture) par Louis XVI et plus tard à la rédaction du Code pénal. Plus près de nous, le procès de Bobigny en 1972, mis en lumière par Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir et plusieurs personnalités, a préparé la voie à la loi Veil de 1975. L'exécution de Christian Rannuci (le pull-over rouge) dont la culpabilité reste douteuse, a pesé en faveur de l'abolition de la peine de mort. Enfin le cas Vincent Humbert reste à l'esprit de quiconque veut légiférer sur les problèmes d'euthanasie.

 

             Et bien oui, nous revendiquons notre ambition de changer nos institutions. Notre système judiciaire va mal. Les juges eux-mêmes ne s'en cachent plus : Éric Halphen, Eva Joly, Renaud van Ruymbeke, Gilbert Thiel, Eric de Montgolfier, Marc Trévidic... sont unanimes pour dénoncer les obstacles qu'on dresse devant eux pour les empêcher d'accomplir leur mission. Quant à nous, humbles justiciables, le principe « que vous soyez puissant ou misérable » s'applique pleinement. Si vous avez affaire à une puissante entité, publique ou privée, attendez-vous à galérer pour faire reconnaître votre bon droit. Songez aux victimes de l'amiante, du Médiator, des essais nucléaires... qui doivent démontrer leur préjudice devant des instances souvent juges et parties !

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          Voyez les victimes de l'attentat de Karachi auxquelles on oppose le sacro-saint secret-défense pour empêcher toute investigation à l'égard de personnalités politiques qu'on soupçonne d'avoir touché des pots de vin. Pour nous, dans le naufrage du Bugaled Breizh, l'implication d'un sous-marin ne fait pas de doute. Elle a été démontrée par plusieurs expertises dont celles d'Ifremer et de l'Amiral Salles, spécialiste des sous-marins. Les juges du Tribunal de Quimper, après avoir méticuleusement examiné toutes les pistes, abordage, voie d'eau, mauvais état du bateau, erreur de l'équipage, croche dans le sable... ont conclu formellement à cette responsabilité, rejetant notamment la thèse de "la croche molle" du BEA-mer. Le jugement est intervenu le 31 juillet 2008, confirmé en 2009 et 2010 par la Cour d'appel de Rennes et en 2010 par la Cour de Cassation, Paris. Il faut rappeler - deuxième volet de cette certitude - que le jour du naufrage avaient lieu deux manÅ“uvres sous-marines : la Thursday War et l'ASWEX-04. Mme Lhermite nous dit que cette dernière n'a commencé que le lendemain : c'est jouer sur les mots, l'heure de départ étant 0 heure ! Or de tels exercices se préparent et il est inconcevable que tous les bâtiments impliqués se trouvent tous dans la zone de l'exercice à l'heure H. Il y a évidemment un délai nécessaire pour "faire mouvement". Quant à prétendre "qu'aucun sous-marin en plongée n'était à moins de 60 km du lieu du drame", c'est une donnée qui n'apparaît nulle part. En revanche, nous savons que le sous-marin néerlandais Dolfjin se trouvait à proximité immédiate, puisque selon sa position officielle, il était à 20 km, mais 25 minutes après le naufrage, ce qui le fait suspecter d'avoir été réellement au contact. Il faisait partie de la flotte de sauvetage, ce qui a beaucoup étonné les sauveteurs britanniques.

 

           La décision des juges de Nantes a de quoi étonner. Désignés par la Cour d'Appel de Rennes pour rechercher le coupable sur la base du jugement du tribunal de Quimper, ils ont conclu à un non-lieu, après une procédure de six ans qui ne parait pas avoir été marquée par une empathie à l'égard des familles et une réelle volonté d'aboutir. Avancer que le secret d'État est "un fantasme sciemment entretenu" est de leur part l'expression d'un mépris indigne du mandat qu'ils ont reçu de la Nation.

 

Notre devoir nous commande de continuer le combat.

 

            Jacques Losay